QUEL EST LE SORT DES DÉCISIONS DE PRÉEMPTION PRISES DANS LES ANCIENS PÉRIMETRES SENSIBLES ?
QPC Conseil Constitutionnel, 24 novembre 2023, n° 2023-1071
LE LÉGISLATEUR PEUT-IL MODIFIER RÉTROACTIVEMENT UNE RÈGLE DE DROIT ?
OUI - Antérieurement à 1985, le préfet était chargé de déterminer, à l’intérieur de périmètres sensibles qu’il délimitait, des zones dans lesquelles le département pouvait exercer un droit de préemption en vue de la protection des sites et des paysages.
La loi du 18 juillet 1985 a transféré au département la possibilité de créer lui-même ces zones en question afin de pouvoir user de son propre droit de préemption.
Afin de permettre la transition entre les deux régimes, le législateur a introduit l’article L.142-12 du code de l’urbanisme, lequel prévoyait que le droit de préemption du département pouvait s’exercer dans les zones auparavant déterminées par les préfets. Par suite, ces dispositions ont été abrogées à compter du 1er janvier 2016 par une ordonnance du 23 septembre 2015.
C’est dans ce contexte qu’ont été introduites les dispositions litigieuses du paragraphe II de l’article 233 de la loi du 22 août 2021 :
« Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les décisions de préemption prises entre le 1er janvier 2016 et l’entrée en vigueur du présent article, en tant que leur légalité est ou serait contestée par un moyen tiré de l’abrogation de l’article L. 142-12 du code de l’urbanisme par l’ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l’urbanisme ».
Dans sa décision, le Conseil Constitutionnel a rappelé que « que si le législateur peut modifier rétroactivement une règle de droit ou valider un acte administratif ou de droit privé, c’est à la condition que cette modification ou cette validation respecte tant les décisions de justice ayant force de chose jugée que le principe de non-rétroactivité des peines et des sanctions et que l’atteinte aux droits des personnes résultant de cette modification ou de cette validation soit justifiée par un motif impérieux d’intérêt général. En outre, l’acte modifié ou validé ne doit méconnaître aucune règle, ni aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le motif impérieux d’intérêt général soit lui-même de valeur constitutionnelle. Enfin, la portée de la modification ou de la validation doit être strictement définie »
LES DISPOSITIONS LITIGIEUSES RÉPONDENT-ELLES À UN MOTIF IMPÉRIEUX D’INTÉRÊT GÉNÉRAL JUSTIFIANT LEUR RÉTROACTIVITÉ ?
NON – Selon les sages de la rue de Montpensier,
« […], d’une part, eu égard au faible nombre de décisions de préemption qui, n’étant pas devenues définitives, font ou sont susceptibles de faire l’objet d’un recours, le risque qu’un contentieux important résulte de la contestation de ces décisions n’est pas établi.
D’autre part, en cas de rétrocession du bien irrégulièrement préempté, la personne titulaire du droit de préemption reçoit le versement d’un prix de rétrocession. Par ailleurs, si sa responsabilité est susceptible d’être recherchée, il appartient toutefois à la partie lésée de prouver un préjudice direct et certain. Par suite, l’existence d’un risque financier important pour les personnes publiques concernées n’est pas établie.
En outre, selon la jurisprudence constante du Conseil d’État, lorsque le juge administratif se prononce sur les conséquences de l’annulation de la décision de préemption, il lui appartient de s’assurer que le rétablissement de la situation initiale ne porte pas une atteinte excessive à l’intérêt général s’attachant à la préservation et à la mise en valeur de sites remarquables.
Il résulte de tout ce qui précède qu’aucun motif impérieux d’intérêt général ne justifie l’atteinte portée au droit des justiciables de se prévaloir du moyen tiré de l’abrogation des dispositions de l’article L. 142-12 du code de l’urbanisme afin d’obtenir l’annulation de décisions de préemption privées de base légale. »
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