LE CANDIDAT CONDAMNE DEFINITIVEMENT PEUT-IL SE METTRE EN CONFORMITE ?
QUE DIT LA LEGISLATION FRANCAISE SUR LES CAS D’EXCLUSION DES PROCEDURES DE PASSATION ?
Au titre des interdictions de soumissionner, les dispositions de l’article L.3123-1 du code de la commande publique reprennent celles de l’article 39 de l’ordonnance Concessions du 29 janvier 2016. Elles renvoient aux personnes faisant l’objet d’une condamnation définitive pour avoir participé à une organisation criminelle, pour avoir commis une fraude, des actes de corruption, des infractions terroristes, des actes de blanchiment de capitaux… L'article L.3123-1 précise que ces cas d’exclusion sont obligatoires et s’appliquent pour une durée de cinq ans à partir du prononcé de la condamnation pénale.
Repris aux articles R.3123-16 à 21 du code de la commande publique, les articles 19 et 23 du décret n°2016-86 du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession indiquent quels documents l’opérateur économique doit fournir pour l’examen de sa candidature. Il s’agit des documents et déclarations sur l’honneur précisant que l’opérateur économique ne se trouve pas dans un cas d’exclusion de la participation aux procédures de passation des concessions.
Ce sont ces deux articles qui avaient fait l’objet d’une demande d’abrogation auprès du Premier ministre. Ce dernier ayant refusé la demande, le Conseil d’Etat a été saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre la décision implicite de rejet.
QUE DIT LE DROIT DE L’UNION SUR LES CAS D’EXCLUSION DES PROCEDURES DE PASSATION ?
L’ordonnance en question transpose la directive Concession du 26 février 2014 qui prévoit en son article 38 des cas d’exclusion obligatoire et des cas d’exclusion facultative.
Par ailleurs, l’article 38 §9 institue un mécanisme de mise en conformité pour le candidat qui tomberait dans un de ces cas d’exclusion. Il est en effet prévu que ce candidat puisse fournir des preuves attestant des mesures prise pour démontrer sa fiabilité. Il faut ensuite que ces preuves soient jugées suffisantes par l’autorité concédante.
QU’EN EST-IL DE LA CONFORMITE DE LA LEGISLATION FRANCAISE AVEC LE DROIT DE L’UNION ?
Le procédure de l'affaire
Dans le cadre du recours contre la décision implicite du rejet du Premier ministre, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur la conventionalité de ces dispositions au regard de celles de la directive européenne. Pour ce faire, il a sursis à statuer et renvoyé une question préjudicielle à la CJUE (CE, 14 juin 2019, Société Vert Marine, n° 419146).
Il s’agissait de savoir si est compatible avec la directive une législation nationale ne prévoyant pas de possibilité, pour l’opérateur économique condamné définitivement, de justifier des mesures prises afin de démontrer sa fiabilité bien qu’il se trouve dans un cas d’exclusion. Était également posée à la CJUE la question concernant la possibilité de confier aux autorités concédantes mais aussi aux autorités judiciaires le pouvoir d’appréciation des pièces justificatives en question.
Par un arrêt du 11 juin 2020, la CJUE a apporté des réponses à ces questions (CJUE 11 juin 2020, Vert Marine SAS c/ Premier ministre et Ministre de l’Économie et des Finances, aff. n° C-472/19). Puis le Conseil d’Etat en a fait application par son arrêt du 12 octobre 2020 (CE, 12 octobre 2020, n°419146, Société Vert Marine).
L'inconventionnalité des dispositions relatives à l’interdiction de soumissionner à un contrat de concession
Le Conseil d'Etat en conclut que les objectifs de la directive impliquent que le droit français doit prévoir un mécanisme de mise en conformité pour le candidat définitivement condamné et exclu des procédures de passation. En l’état, aucune disposition du code ni de l’ordonnance ne prévoit la possibilité d’apporter la preuve de mesures correctrices démontrant le rétablissement de sa fiabilité. De plus, les dispositifs prévus par le droit pénal français ne peuvent pas être considérés comme les dispositifs de mise en conformité imposés par la directive.
Le juge administratif reprend également l'interprétation donnée par la CJUE et considère que les autorités judiciaires peuvent également apprécier le caractère approprié des mesures correctrices engagées par l'opérateur économique.
De ce fait, le Conseil d’Etat considère que l’article 39 de l’ordonnance de 2016 et les dispositions du code de la commande publique sont incompatibles avec la directive de 2014 en ce qu'elles ne prévoient pas la possibilité d’échapper à ces interdictions de soumissionner. Il annule donc la décision implicite du Premier ministre refusant l’abrogation des dispositions litigieuse.
Les mesures transitoires adoptées par le Conseil d'Etat
Enfin, le Conseil d’Etat fixe la méthode à adopter dans l’attente de l’édiction de dispositions législatives et réglementaires nouvelles, indispensables à la mise en conformité avec le droit de l’Union. Il est décidé que l’exclusion obligatoire des procédures de passation ne peut pas être appliquée à l’opérateur économique qui aurait justifié des mesures prises pour corriger les manquements correspondant aux infractions pour lesquelles il a été définitivement condamné.
Ce mécanisme de mise en conformité implique que l’autorité concédante mette le candidat à même de présenter ses observations, dans un délai raisonnable. Elle doit également s’assurer que la participation de l’opérateur économique en question ne soit pas de nature à porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats.
Il s'en suit que le code de la commande publique devra nécessairement être modifié aussi bien au regard des règles de passation des concessions que celles concernant les marchés publics qui ne prévoient pas non plus de dispositif de mise en conformité.
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