Possibilité de passer une délégation de service public provisoire sans publicité, ni mise en concurrence en cas d’urgence
Votre avocat, Clémence Lapuelle, vous présente une actualité en matière de droit des contrats publics.
En l'espèce, la communauté d’agglomération du centre de la Martinique (CACEM) a conclu avec une société de dépannage une convention de délégation de service portant sur la gestion et l’exploitation d’une fourrière. Ce contrat prenant fin le 31 août 2015, il a été décidé de le prolonger d’un an pour motif d’intérêt général (transfert de cette compétence à l’Etat courant 2016), conformément à l’article L.1411-2 du CGCT.
Un avenant a alors été signé par les parties. Cependant, le Préfet de région a considéré que deux clauses suspensives de l’avenant étaient abusives et illégales, dans le cadre de son contrôle de légalité.
La CACEM a alors décidé de « retirer » l’avenant et a conclu une convention provisoire pour la gestion publique de la fourrière avec un nouvel opérateur économique, le 9 novembre 2015, après consultation de plusieurs entreprises.
Le concessionnaire initial a alors saisi le juge des référés précontractuels, puis le juge des référés contractuels (comme la DSP avait été signée) afin d’annuler la convention provisoire.
Le juge des référés a par ordonnance annulé la convention provisoire du 9 novembre 2015 pour non respecter des règles de publicité applicable aux délégations de service public.
La CACEM s’est alors pourvue en cassation afin que le Conseil d’Etat annule cette ordonnance et, statuant en référé, qu’il rejette la demande de la société.
Dans son arrêt du 4 avril 2016, n°396191, Communauté d’agglomération du centre de la Martinique, le Conseil d’Etat consacre, qu’ « en cas d’urgence résultant de l’impossibilité soudaine dans laquelle se trouve la personne publique, indépendamment de sa volonté, de continuer à faire assurer le service par son cocontractant ou de l’assurer elle-même, elle peut, lorsque l’exige un motif d’intérêt général tenant à la continuité du service public, conclure, à titre provisoire , un nouveau contrat de délégation de service public sans respecter au préalable les règles de publicité prescrites. »
Cette règle, basée sur le principe de continuité du service public, n’a aucun fondement législatif ou réglementaire, ni dans l’ancien régime applicable (loi Sapin 1 du 29 janvier 1993), ni dans l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession. En effet, aucun texte ne prévoit de dérogation aux règles de mise en concurrence et de publicité, qui découlent elles-mêmes des principes de liberté d’accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures.
La validité de ces conventions provisoires avait déjà été admise par des juges du fond, notamment dans le cas de l’annulation de la DSP par le juge, permettant d’organiser une nouvelle procédure (voir en ce sens CAA Marseille, 9 avril 2009, n°07MA02807, Commune d’Orange). Cependant, aucune solution claire n’avait été dégagée. La plupart du temps, c’était assimilé à une simple prolongation du contrat initial. De plus, le mécanisme de la convention provisoire consacré par le Conseil d’Etat permet à la personne publique de remplacer son cocontractant par un nouveau concessionnaire, dans le respect des conditions prévues.
En effet, le Conseil d’Etat vient encadrer le recours a une convention provisoire en posant trois conditions cumulatives :
· Cette convention est PROVISOIRE, c’est-à-dire que la durée du contrat ne saurait excéder le temps de mise en œuvre d’une procédure de mise en concurrence et de publicité pour conclure un nouveau contrat de délégation de service public ou le temps nécessaire à une reprise en régie. Sa durée est strictement limitée.
· Il doit y avoir un MOTIF D’INTERET GENERAL tenant à la continuité du service public.
· En outre, la notion d’URGENCE est appréciée de façon stricte par le juge. Elle est caractérisée par l’impossibilité, l’imprévisibilité, soudaine et extérieure à la volonté de la personne publique, de faire poursuivre l’exécution du service public par son cocontractant ou par elle-même. Elle ne doit donc pas provenir des agissements de l’autorité délégante.
En l’espèce, le juge ne reconnait pas la situation d’urgence. Il estime que la société concessionnaire avait renoncé dès le 8 octobre 2015 aux clauses ayant un caractère illégal, et donc que le retrait de la communauté d’agglomération devait s’analyser comme une résiliation. Au regard du fait que le service public de la fourrière aurait pu continuer d’être exécuté par le délégataire initial, avec le retrait des deux clauses illégales dans l’avenant de prolongation, l’urgence ne justifiait pas que la CACEM conclut une convention provisoire.
Ainsi, le Conseil d’Etat a rejeté le pourvoi de la CACEM.
Cette possibilité jurisprudentielle de conclure une DSP provisoire, sans publicité, ni mise en concurrence, a été confirmée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 14 février 2017, n°405157, Société de manutention portuaire d’Aquitaine.
En l’espèce, il s’agissait d’une convention de terminal (qualifiée de concession de service) conclu le 19 décembre 2014 entre le Grand Port Maritime de Bordeaux et une société privée et qui avait pour objet la gestion, la valorisation, la construction et l’entretien de l’infrastructure portuaire.
Suite à une mise en demeure du cocontractant pour qu’il exécute ledit contrat, et une médiation échouée, la personne publique a conclu une convention provisoire (sans publicité, ni mise en concurrence) de mise en régie avec un sous-traitant du concessionnaire initial, pour une durée de 18 mois. Les droits et obligations du contrat initial ont été transférés pour ladite durée au nouveau cocontractant, impliquant que le contrat provisoire était doté de la même nature juridique que le contrat initial.
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